Pendrifter

Évasion et introspection sur les sentiers méandreux de l'écriture

Dimanche 30 janvier 2011

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       Mon élan créatif ayant été stoppé net par la visite du château de Brennenburg (brrr), il fallait que je consacre un article à ce soft qui est un véritable OVNI à mes yeux, dans le bon sens du terme. Une expérience qui ne manquera pas d'en ébranler plus d'un, voilà à quoi pourrait se résumer Amnesia : The Dark Descent. Immersif à souhait, c'est un véritable cauchemar éveillé que nous propose là Frictionnal Games, un tout petit studio suédois qui mériterait d'être pris pour exemple. Après avoir planché sur la trilogie des Penumbra que je n'ai pas eu la chance de tester, voilà qu'ils remettent le couvert pour le meilleur et pour le pire. Et surtout pour le meilleur...

       Ce qui reste de ma mémoire fragmentée s'évanouit peu à peu dans les ténèbres. Le chaos règne dans mon esprit et seul subsiste le sentiment d'être traqué. Je dois fuir.

       Amnesia : The Dark Descent nous invite à nous glisser dans la peau d'un certain Daniel tandis qu'il reprend connaissance dans les entrailles d'un château délabré. Incapable de se souvenir des circonstances de sa venue en ce lieu inquiétant, le malheureux n'a d'autre choix que d'explorer cet environnement peu hospitalier à la recherche d'éventuels souvenirs. Rapidement, il s'apercevra que le danger ne vient pas seulement de cet endroit, mais aussi et surtout de ce qui se terre au plus profond de son esprit. C'est un déroutant voyage au sein des recoins les plus obscurs de l'esprit humain qui s'offre à nous. Un voyage comme je les aime et dont on revient rarement indemne...

       Des bruits de pas traînants? Ou est-ce juste mon esprit qui me joue des tours?

       Tout contribue dans cet opus à nous identifier au personnage, à prendre sa place. Dès lors qu'on a entreprit ce terrifiant périple, il n'est plus possible de s'en détacher avant le dénouement final. Les questions se mettent à affluer par dizaines et ni l'atmosphère inquiétante qui règne dans les corridors du château, ni l'obscurité d'où s'élèvent des bruits qui n'ont rien de très rassurant ne parviennent à nous détourner de notre quête. Les réponses se trouvent ici, et à mesure que les indices font leur apparition, on commence à entrevoir la terrible réalité. Au point qu'on se demande s'il ne valait pas mieux tout oublier, en effet. Les fans de Lovecraft et de Poe seront aux anges...

       Quelque chose émerge des ténèbres. Ça s'approche. Vite.

       Les phénomènes inexpliqués qui tendent à se multiplier (portes qui claquent, bruits de pas, matière visqueuse qui investit peu à peu les lieux) ne manqueront pas d'en faire sursauter plus d'un (l'ambiance visuelle et sonore y sont pour beaucoup). Et je ne parle même pas de certains passages particulièrement éprouvants à la fois pour la santé mentale du personnage et pour nos propres nerfs, notamment lorsque notre chemin croise celui des "résidents" du château. Point d'arme ou de moyen de se défendre dans Amnesia : The Dark Descent. Se cacher, fuir ou faire preuve d'ingéniosité malgré le sentiment de panique qui ne manque par de s'immiscer en nous sont nos seules échappatoires.

       Avez-vous ce qu'il faut pour survivre?


Samedi 29 janvier 2011

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Le Passeur
 
       - Abattez les voiles ! Abattez les voiles, bon sang !

       Le cri du capitaine se perdit dans le fracas assourdissant du tonnerre roulant sur les vagues. Un éclair d’un bleu aveuglant zébra le ciel nocturne terriblement tourmenté, et frappa le galion de plein fouet. Le grand mât, sectionné, s’abattit dans un enchevêtrement de cordages et la vergue s’écroula, écrasant une poignée de marins. La vigie fut précipitée dans les flots bouillonnants qui s’abattaient sans ménagement contre la coque.

       La pluie battante se mit alors à redoubler de violence, martelant un pont jonché de débris et de corps épars entre lesquels s’affairaient ceux qui avaient été jusque là épargnés par la fureur de la tempête. Une puissante bourrasque gonfla les voiles noires encore intactes du navire, lui donnant l’image d’un oiseau de mauvais augure déployant ses ailes, tandis que la gargouille ricanante placée à la proue semblait narguer les profondeurs abyssales.

       Le Naufrageur s’écrivait en lettres dorées sur les flancs du bateau qui fendait tant bien que mal les gigantesques vagues, et il ne s’agissait en l’occurrence que d’un bâtiment sinistre transportant sur son dos une troupe d’hommes effrayés.

       Un marin se signa et déclara d’une voix blanche :

       - Que les Dieux nous épargnent ! Nous allons sombrer !

       L’homme qui se tenait près de lui le saisit alors par la tunique, le regard menaçant.

       - Retourne à ton poste immédiatement. Ce galion atteindra les côtes de Mylanor coûte que coûte. Nous ne pouvons nous permettre de perdre notre cargaison !

       - Votre entêtement nous perdra tous, Sire Roivas. Si nous survivons à cette nuit, soyez certain que nous vous ferons regretter la perte de nos compagnons…

       Sur ces mots, le matelot se dégagea rageusement puis traversa le pont en direction de la poupe en se retenant à tout ce qui était encore solidement fixé au plancher, tant le navire était secoué par la houle. Le mercenaire le regarda s’éloigner, puis détourna son regard pour le laisser embrasser l’étendue d’eau déchaînée. Un énième éclair vint déchirer l’horizon, révélant une forme indistincte aux proportions titanesques qui cinglait à quelques encablures, juste sous la surface de l’eau.

       - Ainsi donc, l’heure est venue, souffla Roivas, sombrement. J’aurais dû me douter que cela finirait de la sorte.

       Comme pour confirmer ses pensées, un nouveau cri se fit entendre :

       - Une brèche s’est ouverte dans la cale ! Nous coulons !

       A cet instant, le peu de calme qu’avait su conserver l’équipage fondit comme neige au soleil. Des marins et des soldats en armes se mirent à traverser le navire en se bousculant et en hurlant comme des damnés, n’ayant plus que pour seul but que de mettre les chaloupes à la mer. Un vent de panique soufflait sur le pont, et Roivas ne put s’empêcher de frissonner en imaginant ces hommes grimper sur ces coques de noix qui auront tôt fait d’être broyées par l’écume rugissante.

       Jetant un nouveau coup d’œil en direction de la mer démontée, ce fut de la haine et du mépris qu’il ressentit à l’égard de la créature qui était à présent invisible, mais qui continuait sans aucun doute à les guetter, là-bas, derrière le rideau de la pluie. Il ne pouvait accepter l’idée de laisser sombrer le précieux artéfact dans les abysses froids et insondables de l’océan. Pas après avoir pris tous ces risques. Pas sans avoir tenté le tout pour le tout…

       Criant à pleins poumons, chancelant à chaque secousse qui parcourait la structure du navire, il entreprit de reformer les rangs désorganisés de l’équipage tandis que le capitaine continuait d’aboyer ses ordres, braillant au timonier de redresser la quille et de virer de trente degrés sur bâbord. L’étrave du Naufrageur se redressa et le pont s’inclina docilement sur la gauche… quand un nouvel éclair ébranla l’arrière du bâtiment, impact presque immédiatement suivi d’une violente embardée qui jeta tous les hommes sur le pont.

       Roivas entendit derrière lui le cri désespéré d’un matelot lorsqu’il fut projeté par-dessus bord, hurlement rapidement tu par le sifflement du vent et la fureur des vagues. Il se releva tant bien que mal, lançant un regard interrogateur en direction du capitaine qui demanda à ce que ses hommes s’empressent d’établir un bilan des avaries. L’éclair avait touché le galion de plein fouet, de sorte qu’il avait éventré une partie de la coque et endommagé le gouvernail de façon préoccupante. De fait, le navire commençait à dériver sur tribord. En outre, une inquiétante fumée noire parcourue de braises incandescentes s’éleva peu à peu de la brèche.

       Alors que le bâtiment s’enfonçait dans un gros nuage noir, Roivas sentit l’odeur métallique et âcre du méthane envahir ses narines. S’il n’en ressentit pas immédiatement les effets nocifs d’où il se tenait, la réaction du timonier et d’une partie du reste de l’équipage face à ces émanations néfastes fut dramatique : agrippant leurs gorges à deux mains, des malheureux s’effondrèrent sur le sol en suffoquant. Parant au plus pressé, le capitaine cria au mercenaire, entre deux quintes de toux, de prendre la barre pendant qu’il descendrait dans la cale pour tenter d’éteindre l’incendie et sauver la cargaison. Roivas se précipita en direction de la timonerie, le cœur douloureux et les oreilles bourdonnantes, et prit le gouvernail des mains d’un homme au bord de la syncope, s’efforçant de maintenir le cap de ce vaisseau ivre dans la tourmente.

       Le vent tourna enfin, rabattant le nuage nocif sur tribord, et ses infortunés compagnons commencèrent à recouvrer leurs esprits. Mais une nouvelle menace se profila presque aussitôt devant l’étrave. Soulevant d’immenses gerbes d’eau, une masse informe et visqueuse émergea des profondeurs, élevant et tordant au-dessus des flots d’innombrables appendices grouillants comme de la vermine. Elle était si colossale que le trois-mâts lui-même semblait d’une taille bien dérisoire comparé à cette créature contre-nature, terrifiante.

       - Le Passeur ! Le Passeur nous a rattrapé !

       Roivas sentit son cœur se serrer à la vue de ce formidable adversaire, et sa propre détermination fut ébranlée lorsqu’il réalisa enfin que la bête ne le laisserait jamais atteindre la côte avec son précieux butin. Le kraken replongea presque aussitôt, générant un large tourbillon vers lequel le Naufrageur se mit inexorablement à dériver. Arc-bouté sur la barre, le mercenaire lutta farouchement pour éloigner le galion de ce gouffre grondant, tourbillon vertigineux capable d’engloutir en un instant le plus robuste des navires. Ce fut un combat de tous les instants qu’il eut à mener pour maintenir la trajectoire du bâtiment. Il jeta la barre à bâbord toute pour contrer cette dérive incessante qui le rapprochait dangereusement du typhon. Mais l’avarie du gouvernail rendait le comportement du trois-mâts aussi rétif qu’imprévisible si bien que, dans les secondes qui suivirent, il dut effectuer en catastrophe la manœuvre inverse pour éviter de passer à portée des tentacules qui surplombaient encore la mer.

       Une poignée de marins s’était attachée au mât, d’autres se contentaient de se cramponner un peu plus fort au bastingage, remettant leur sort entre les mains de Dieux depuis longtemps devenus sourds aux suppliques des Hommes. En désespoir de cause, Roivas concentra toute l’acuité de ses sens sur un point imaginaire de l’horizon situé dans l’exact alignement qui séparait le tourbillon mugissant et les appendices du Passeur, en se contentant d’agir intuitivement sur les commandes du vaisseau, comme si ce dernier n’était qu’un prolongement de son corps. Il ne put empêcher son cœur de bondir dans sa poitrine lorsque la foudre qui fusait régulièrement autour d’eux vint frapper les flots dans une cacophonie de fin du monde à quelques mètres à peine du navire, rendant la manœuvre plus délicate encore. Il fit de son mieux pour anticiper la moindre défaillance, chaque dérobade du Naufrageur, à peine conscient du travail de ses mains sur la barre, restant indifférent aux cris de terreur de l’équipage.

       Jusqu’au dernier instant, il tira sur la barre rétive pour arracher le vaisseau des mâchoires de ce piège mortel, en retenant son souffle. Au bout de ce qui lui sembla une éternité, le typhon sembla enfin se rétrécir, et fut sur le point d’être tout à fait dépassé quand un tentacule muni de crochets s’abattit sur la coque, juste sous la dunette, et une éblouissante lumière blanche oblitéra les sens du mercenaire tandis qu’il fut violemment projeté sur le pont.

       Le souffle coupé, il se sentit plonger dans les ténèbres, presque avec un certain soulagement.

       Il eut alors vaguement conscience d’une présence qui le surplombait, et il crut sentir une main se poser brutalement sur son épaule. On le tira sans ménagement à travers le chaos qui régnait sur le pont, et lorsqu’il parvint à entrouvrir brièvement les yeux, ce fut pour distinguer une silhouette féminine rabattre sur lui le couvercle de ce qui semblait être le caisson à cordage.

       - Qu’est-ce qu… Est-ce vraiment toi ? Souffla-t-il, au bord de l’inconscience.

       Recroquevillé entre les épais rouleaux de cordage, il guetta les moindres bruits et mouvements de l’extérieur, sa vision se troublant peu à peu. Son estomac se souleva lorsque le galion se mit à rouler d’un bord sur l’autre, et son sang se glaça quand des cris de terreur retentirent sur le pont. Puis, les grincements montant de la cale s’amplifièrent brusquement pour laisser place à un horrible craquement de bois accompagné d’une violente secousse. Le Naufrageur, qui prenait déjà l’eau depuis plusieurs minutes, parut basculer de l’avant en craquant de toutes ses membrures et s’enfonça dans l’océan glacial. C’est alors que Roivas perdit connaissance, s’enfonçant dans un silence surnaturel…

Création personnelle soumise à des droits d'auteur.
A.W.

       Texte sans réel rapport avec les deux chapitres évoqués précédemment, si ce n'est que l'action se déroule dans le même univers. Il a été écrit dans le cadre d'une participation à un concours organisé par le CEPAL (Centre Européen pour la Promotion des Arts et des Lettres). Il est possible que j'incorpore ultérieurement ce passage à mon projet, mais je n'ai encore rien décidé à l'heure actuelle. Les abysses exerçant sur moi une fascination mêlée de crainte, je ne m'étonne qu'à moitié d'avoir eu envie d'écrire quelques lignes sur ce thème, plus particulièrement après qu'un ami m'ait montré l'illustration qui accompagne cet article. Un de mes textes qui m'est venu le plus naturellement, et dont je suis relativement satisfait (ce qui est une chose plutôt rare)!

Jeudi 27 janvier 2011

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       Puisqu'il était question hier de la place de l'inspiration dans la démarche créative, j'ai jugé intéressant et naturel d'énumérer et de parler des oeuvres qui m'auront influencé d'une manière ou d'une autre. Je remercie d'ailleurs au passage les deux intervenants qui m'auront fait part de leur sentiment à ce sujet. Le premier chapitre du roman, Sombre présage, m'a donc été inspiré par une musique tirée de l'OST Eternal Darkness : Sanity's Requiem, elle-même extraite du jeu vidéo du même nom. Malgré quelques tares et une performance technique quelque peu discutable, il serait dommage d'avoir fait l'impasse sur ce soft qui s'inspire ouvertement d'auteurs tels que Lovecraft ou Poe, dont on retrouve certaines citations in-game. Développé par Silicon Knights, sorti en 2002 sur Nintendo GameCube, il a été trop souvent classé à tort dans la catégorie du survival horror. Personnellement, je préfère employer le terme de thriller psychologique. Et pour cause!

       Mettant en scène un conflit opposant le Bien et le Mal selon une approche on ne peut plus lovecraftienne, ce petit bijou réunit tous les mécanismes qui ont fait le succès (de façon posthume, certes) de ce cher Howard : la peur dans ce qu'elle a de plus primaire, la recherche de la connaissance avec tous les risques que cela suppose, une menace cosmique et un savoir qui dépassent l'entendement humain, l'insignifiance de l'Humanité, l'ombre de la folie qui s'étend et s'empare peu à peu de ceux qui entraperçoivent la terrifiante vérité. Ici aussi, plusieurs mortels liés à travers les âges vont être amenés à jouer un rôle dans la lutte contre les Anciens, bien souvent contre leur volonté et/ou sans avoir conscience de la puissance des entités contre lesquelles ils se dressent. Ce combat qui semble bien mal entamé pour le genre humain va se dérouler sur vingt siècles, et de nombreux sacrifices vont devoir être envisagés pour seulement espérer retarder la terrible échéance.

       Ce qui aura fait le succès d'Eternal Darkness : Sanity's Requiem aura sans doute été la prise en compte de la santé mentale des protagonistes, et ce par le biais d'une barre représentant leur aplomb psychologique. Plus les personnages vont être confrontés à des phénomènes inexplicables ou à des visions d'horreur, plus la réalité et la folie vont se mêler jusqu'à se confondre. Au point qu'on en arrive à se demander si telle statue n'a pas réellement tourné la tête sur notre passage, et si ce sang qui dégouline des murs est bien vrai ou s'il s'agit d'une hallucination. Quand à la bande son, elle renforce efficacement l'immersion en passant par des thèmes tantôt pesants tantôt angoissants, avec sanglots et murmures d'outre-tombe à l'appui. Ce fut sur le thème The Penitent que j'ai imaginé et écrit ce passage. Je laisse ici un lien pour les curieux, et je leur recommande vivement d'écouter le reste de l'OST, en particulier The Gift of Forever qui reste mon préféré.


Mercredi 26 janvier 2011

       Le plagiat, c’est le fait de copier une œuvre ou de s’en inspirer fortement. C’est considéré comme du vol : le plagiaire peut être condamné par la justice. Ce mot vient du latin plagiarus, qui avait un sens très fort : « celui qui vole les esclaves d’autrui ». Il est issu du grec plagios « oblique, fourbe ».
       Afin d’éviter l’appropriation de ces textes, les prochaines publications se résumeront à des extraits ou fragments du roman. Cela dit, j’invite toute personne désireuse de lire le passage dans son intégralité à me contacter. Je précise que les textes publiés dans leur intégralité ont déjà été primés par des organismes littéraires (dans le cadre de concours essentiellement) ou sont, dans le cas contraire, protégés via enveloppe Soleau.
       Pour tous renseignements complémentaires en rapport avec ce moyen de protection, voir le site de l’INPI,  http://www.inpi.fr/.


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02 Chapitre Premier - Sombre présage (Extrait)

       La fillette s’éveilla tandis que mourait dans sa gorge un hurlement d’effroi. Ses ongles avaient labouré son cou d’où irradiait encore une douleur lancinante. Elle se redressa dans un sursaut, le souffle court, et le regard animé par l’horreur. Le sang battait si fort à ses tempes qu’elle se cru sur le point de défaillir. Elle demeura assise là longtemps, en tailleur, les couvertures rejetées au pied du lit et le corps secoué de frissons. Son esprit était encore tourmenté par les échos d’un cauchemar devenu trop coutumier. Lorsque l’enfant parvint enfin à se dominer, elle enfouit son visage au creux de ses mains et poussa un long soupir qui trahissait sa lassitude et son désespoir. Elle n’en pouvait plus, et ce fut à grand peine qu’elle étouffa un sanglot.

       Refusant de se laisser abattre, elle se frotta les yeux puis se leva sans bruit, ses pieds nus effleurant le plancher vermoulu. Le candélabre qui diffusait une lumière vacillante projeta alors sur les murs de pierre une ombre fluette et tremblotante. Une légère brise s’engouffrait par la minuscule fenêtre qui surmontait la couche, apportant avec elle les rumeurs de la nuit et le chant lointain d’un grillon mauriuri. Ce souffle frais sur sa peau couverte de sueur arracha à l’enfant un nouveau frisson, et ce fut en claquant des dents qu’elle s’écarta de son lit pour se diriger vers le miroir accroché près de la lourde porte de chêne. Elle n’eut qu’un pas à faire, tant sa cellule était petite et dépouillée. Tout avait été fait pour favoriser le recueillement : une table de travail avec un tabouret, une étagère, un lit, un placard et un baquet d’eau constituaient le seul mobilier de sa chambre.

       A travers ses postillons de rouille, le miroir renvoya à la fillette l’image d’une enfant encore très jeune, sage et sereine… mais exténuée. La peau sombre, elle partageait les attributs physiques des peuples des terres orientales, et il était vrai qu’elle ressemblait traits pour traits à sa mère. Elle fut surprise par la gravité et la pureté qu’elle trouva au fond de son regard aux iris dorés, lorsqu’elle le croisa sur la surface polie de la glace. Elle arrangea alors ses tresses défaites par ces maigres heures de sommeil, et glissa entre celles-ci quelques plumes colorées, sa seule coquetterie. Puis elle s’adressa un petit sourire muet avant de se diriger vers la table sur laquelle trônaient un godet en terre cuite et un pichet ébréché.

       Elle s’en saisit et se servit à boire. L’eau était fraîche, et ce fut avec une certaine délectation qu’elle bu ces quelques gorgées après avoir approché le gobelet de ses lèvres. Sa gorge encore douloureuse en fut soulagée. Elle s’apprêtait à se resservir une seconde fois lorsque des gémissements étouffés s’élevèrent du couloir, juste de l’autre côté de la porte en bois. Le godet lui échappa des mains et se fracassa bruyamment sur le sol.

       « Ça recommence… Ça recommence ! »

       La respiration saccadée, elle demeura immobile, ses tempes martelées par la puissance du sang brassé par l’angoisse. Il lui semblait qu’elle sursautait à chaque battement de son cœur. Au terme d’un long silence passé dans un tremblement insoutenable, elle décida d’approcher avec précaution de la porte. Après une nouvelle hésitation, elle appliqua ses doigts fins contre le montant de bois et se hissa sur la pointe des pieds, se risquant à jeter un œil à travers le judas qui donnait sur le cloître. Il y régnait une pénombre presque mystique. Quelques chandeliers laissaient apparaître une fine brume qui semblait onduler dans la galerie. Mais les râles s’étaient tus, et il n’y avait pas âme qui vive à l’extérieur.

       L’angoisse de l’enfant ne s’était pas dissipée pour autant. La peur était toujours aussi présente en elle, et la crise de panique, toujours aussi proche. Elle s’aperçut qu’elle serrait les dents tellement fort que sa mâchoire en devenait un nouveau foyer de douleur. Il fallait pourtant prendre une décision. Si son corps tout entier lui hurlait de quitter précipitamment cet endroit, son esprit, plus réticent, lui suggérait de ne pas céder à cet affolement pourtant déjà ancré en elle. La fillette avait pourtant une terrible impression de déjà-vu, et ne pouvait se défaire de l’idée que quoi qu’elle fasse, elle ne pourrait échapper à son horrible destin.

       Elle recula d’un pas, fixant du regard cette porte qui la séparait du corridor, les poings serrés pour tenter d’entraver ces tremblements intempestifs. Doucement, elle avança une main vers le verrou couvert de rouille…
 

Création personnelle soumise à des droits d'auteur.
A.W.

Mardi 25 janvier 2011

http://pendrifter.cowblog.fr/images/Incertitudes.jpgPeinture à l'huile  « La promenade nocturne en carrosse ». Artiste : Marek Langowski.
 

01 Prologue - Incertitudes

       Dans un vacarme assourdissant, un nouvel éclair déchira le bouillonnant ciel nocturne. L’espace d’un court instant, le paysage désolé fut brillamment illuminé, suffisamment longtemps pour que l’on puisse distinguer un fiacre s’avançant à vive allure à travers la pluie battante. Il filait sur une route pavée en piteux état, par-dessus laquelle s’arc-boutaient des arbres aux formes improbables et sinistres. Dénuées de tout feuillage, leurs branches décharnées formaient une voûte enchevêtrée sous laquelle le carrosse venait de s’engager. Le marécage boueux avait peu à peu cédé la place à une plaine aride parsemée de ronces et de pics rocheux, et les hurlements des loups se mêlaient aux rugissements de la tempête, ponctués, par moments, par le croassement d’un corbeau.

       D’un claquement de fouet, le cocher exhorta son attelage, et les feux follets qui vagabondaient entre les arbres morts en diffusant une lumière verdâtre s’écartèrent au passage des deux juments noires. Elles tiraient une voiture aussi sombre que l’ébène, munie de montants et de poignées en argent. Les deux lanternes qui la surmontaient ne permettaient pas de percer les ténèbres environnantes, tout juste suffisaient-elles à éclairer le visage marqué par la fatigue et l’inquiétude du vieillard encapuchonné qui tenait les rênes. La portière s’entrouvrit alors, et un homme se pencha vers l’extérieur, le visage dissimulé sous un chapeau à large bord. Il échangea brièvement quelques mots avec le conducteur, mais leurs paroles furent étouffées par le grondement du tonnerre. Puis il referma le battant en reprenant place dans la diligence.

       - Nous arriverons à Xibalba peu avant l’aube, dit-il. Tu devrais te reposer d’ici à ce que nous arrivions.

       Naturellement, elle ne répondit pas.

      Il faisait chaud et sec dans le carrosse. L’homme ôta son couvre-chef et le secoua pour le débarrasser des gouttes de pluie qui le recouvraient, révélant de longs cheveux châtains réunis en une queue de cheval. Quelques mèches rebelles vinrent encadrer un regard taquin. En face de lui se trouvait une jeune femme fort séduisante, vêtue d’une étrange armure constituée de patchwork métallique. Son visage fin et délicat était auréolé d’une chevelure aussi blanche que la neige. D’une main gantée, elle avait écarté l’un des rideaux de velours rouge et son regard s’était perdu dans l’obscurité qui régnait au-dehors. Un bouclier et une épée finement ouvragée reposaient à ses côtés.

       - Tu n’es pas très loquace, jeune fille. Je ne sais pas ce qu’il y a de pire dans toute cette histoire : le fait de devoir me plier aux injonctions de ton paternel, ou celui de devoir supporter ce silence depuis notre départ de Sainte-Fontaine.

       Elle tourna vers lui ses yeux d’un bleu intense en se redressant sur son siège. Ils recélaient une sagesse plus profonde que son âge ne le laissait supposer.

       - Si Père ne t’avait pas tiré des mains des Al-kimias, tu danserais sans doute au bout d’une corde à l’heure qu’il est.

       Il éclata d’un rire franc et sincère.

       - Charmante! Tu es la digne fille de ton aïeul. Toujours sur la défensive, hein? Tu pourrais être adorable s’il t’arrivait de sourire un peu.

       - Je te trouve bien présomptueux pour un humain. Si cela n’avait tenu qu’à moi, j’aurais laissé ces créatures te lyncher en bonne et due forme.

       - Tu as trop bon cœur pour ça, répondit-il avec malice. Tu as beau te cacher derrière ton port altier et ton apparente impartialité, nous savons tous deux que tu es la douceur et la sensibilité incarnées. Tu n’aurais pas pu abandonner un si charmant garçon à son triste sort!

       Elle le fusilla du regard, mais s’abstint de tout commentaire. Après un bref silence, elle reprit :

       - Nous sommes au moins d’accord sur un point : je ne comprends pas davantage pourquoi Père t’a désigné pour m’accompagner. D’autant plus que c’est une tâche que je peux mener seule.

       - C’est bien ce qui me fait peur, avoua l’homme dans un soupir, abandonnant par la même occasion sa mine enjouée. J’ai un mauvais pressentiment. Quelque chose me dit que cette visite de courtoisie ne sera pas qu’une simple formalité, finalement.

       Elle ne dit rien, mais à en juger l’expression de son visage, il sut qu’elle partageait son sentiment. Il demeura un instant songeur tandis qu’elle se penchait à nouveau vers la fenêtre, après quoi il remonta le col de son épais manteau à franges et se coiffa de son chapeau, en prenant soin d’en abaisser le bord jusqu’à dissimuler son regard. Puis il s’installa plus confortablement au creux de son siège, un vague sourire revenant flotter sur ses lèvres. Dehors, la pluie continuait à tambouriner furieusement contre les parois du fiacre, et les rumeurs de la tempête berçaient les deux voyageurs qui se dirigeaient vers un avenir plus qu’incertain.
 

Création personnelle soumise à des droits d'auteur.
A.W.

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