Pendrifter

Évasion et introspection sur les sentiers méandreux de l'écriture

Mardi 25 janvier 2011

http://pendrifter.cowblog.fr/images/Incertitudes.jpgPeinture à l'huile  « La promenade nocturne en carrosse ». Artiste : Marek Langowski.
 

01 Prologue - Incertitudes

       Dans un vacarme assourdissant, un nouvel éclair déchira le bouillonnant ciel nocturne. L’espace d’un court instant, le paysage désolé fut brillamment illuminé, suffisamment longtemps pour que l’on puisse distinguer un fiacre s’avançant à vive allure à travers la pluie battante. Il filait sur une route pavée en piteux état, par-dessus laquelle s’arc-boutaient des arbres aux formes improbables et sinistres. Dénuées de tout feuillage, leurs branches décharnées formaient une voûte enchevêtrée sous laquelle le carrosse venait de s’engager. Le marécage boueux avait peu à peu cédé la place à une plaine aride parsemée de ronces et de pics rocheux, et les hurlements des loups se mêlaient aux rugissements de la tempête, ponctués, par moments, par le croassement d’un corbeau.

       D’un claquement de fouet, le cocher exhorta son attelage, et les feux follets qui vagabondaient entre les arbres morts en diffusant une lumière verdâtre s’écartèrent au passage des deux juments noires. Elles tiraient une voiture aussi sombre que l’ébène, munie de montants et de poignées en argent. Les deux lanternes qui la surmontaient ne permettaient pas de percer les ténèbres environnantes, tout juste suffisaient-elles à éclairer le visage marqué par la fatigue et l’inquiétude du vieillard encapuchonné qui tenait les rênes. La portière s’entrouvrit alors, et un homme se pencha vers l’extérieur, le visage dissimulé sous un chapeau à large bord. Il échangea brièvement quelques mots avec le conducteur, mais leurs paroles furent étouffées par le grondement du tonnerre. Puis il referma le battant en reprenant place dans la diligence.

       - Nous arriverons à Xibalba peu avant l’aube, dit-il. Tu devrais te reposer d’ici à ce que nous arrivions.

       Naturellement, elle ne répondit pas.

      Il faisait chaud et sec dans le carrosse. L’homme ôta son couvre-chef et le secoua pour le débarrasser des gouttes de pluie qui le recouvraient, révélant de longs cheveux châtains réunis en une queue de cheval. Quelques mèches rebelles vinrent encadrer un regard taquin. En face de lui se trouvait une jeune femme fort séduisante, vêtue d’une étrange armure constituée de patchwork métallique. Son visage fin et délicat était auréolé d’une chevelure aussi blanche que la neige. D’une main gantée, elle avait écarté l’un des rideaux de velours rouge et son regard s’était perdu dans l’obscurité qui régnait au-dehors. Un bouclier et une épée finement ouvragée reposaient à ses côtés.

       - Tu n’es pas très loquace, jeune fille. Je ne sais pas ce qu’il y a de pire dans toute cette histoire : le fait de devoir me plier aux injonctions de ton paternel, ou celui de devoir supporter ce silence depuis notre départ de Sainte-Fontaine.

       Elle tourna vers lui ses yeux d’un bleu intense en se redressant sur son siège. Ils recélaient une sagesse plus profonde que son âge ne le laissait supposer.

       - Si Père ne t’avait pas tiré des mains des Al-kimias, tu danserais sans doute au bout d’une corde à l’heure qu’il est.

       Il éclata d’un rire franc et sincère.

       - Charmante! Tu es la digne fille de ton aïeul. Toujours sur la défensive, hein? Tu pourrais être adorable s’il t’arrivait de sourire un peu.

       - Je te trouve bien présomptueux pour un humain. Si cela n’avait tenu qu’à moi, j’aurais laissé ces créatures te lyncher en bonne et due forme.

       - Tu as trop bon cœur pour ça, répondit-il avec malice. Tu as beau te cacher derrière ton port altier et ton apparente impartialité, nous savons tous deux que tu es la douceur et la sensibilité incarnées. Tu n’aurais pas pu abandonner un si charmant garçon à son triste sort!

       Elle le fusilla du regard, mais s’abstint de tout commentaire. Après un bref silence, elle reprit :

       - Nous sommes au moins d’accord sur un point : je ne comprends pas davantage pourquoi Père t’a désigné pour m’accompagner. D’autant plus que c’est une tâche que je peux mener seule.

       - C’est bien ce qui me fait peur, avoua l’homme dans un soupir, abandonnant par la même occasion sa mine enjouée. J’ai un mauvais pressentiment. Quelque chose me dit que cette visite de courtoisie ne sera pas qu’une simple formalité, finalement.

       Elle ne dit rien, mais à en juger l’expression de son visage, il sut qu’elle partageait son sentiment. Il demeura un instant songeur tandis qu’elle se penchait à nouveau vers la fenêtre, après quoi il remonta le col de son épais manteau à franges et se coiffa de son chapeau, en prenant soin d’en abaisser le bord jusqu’à dissimuler son regard. Puis il s’installa plus confortablement au creux de son siège, un vague sourire revenant flotter sur ses lèvres. Dehors, la pluie continuait à tambouriner furieusement contre les parois du fiacre, et les rumeurs de la tempête berçaient les deux voyageurs qui se dirigeaient vers un avenir plus qu’incertain.
 

Création personnelle soumise à des droits d'auteur.
A.W.

Lundi 24 janvier 2011

http://pendrifter.cowblog.fr/images/BannierePendrifter.jpg


       Nouvelle insomnie... Un autre pressentiment. Dans l’obscurité qui avait envahi la chambre, mes yeux restaient fixés sur un plafond dont je ne faisais que soupçonner l’existence. Mon esprit, quand à lui, était ailleurs. Loin. Terriblement loin de ce souffle paisible qui s’élevait de l’autre côté de ce lit devenu froid et soudainement trop grand pour nous deux. Ce fut pour faire taire mes inquiétudes et mes doutes que j’allumais la lumière et rouvris silencieusement le livre qui était resté posé sur la table de chevet. Howard Phillips Lovecraft, une fois de plus. Celui qui chuchotait dans les ténèbres… L’une des rares nouvelles de cet auteur qui m’était encore inconnue. Ce fut en cette nuit douloureuse que je découvris ce mot qui, dès lors, ne me quitta plus : Pendrifter. Il s’agit du pseudonyme qu’utilise un chroniqueur du Brattleboro Reformer, un personnage qui appuyait les conclusions sceptiques du personnage central au sujet des évènements qui se produisaient dans les collines isolées du Vermont.

       Malgré tous mes efforts, j’ai été incapable de trouver une traduction de ce terme qui me satisfasse. J'ai eu beau chercher, mes pérégrinations sont demeurées infructueuses. Le mot n’existe pas même dans le Merriam-Webster en ligne, éditeur américain de référence en langues, l’un des plus célèbres et des plus récompensés à ce jour. Pen est un mot que tout le monde aura déjà côtoyé pour peu qu’ils aient été initiés à la langue : on le traduit par plume, crayon ou stylo. Drifter : celui qui erre sans but. Pendrifter serait donc un nom d’emprunt qui signifierait : plume errante ou celui qui laisse dériver sa plume. J’ai été interpellé et séduit par cette image de l’écrivain sans attache, du penseur vagabond, de la plume qui danse sur le papier au rythme de ses pensées. C’est pourquoi j’adopte aujourd’hui ce pseudonyme pour mieux hanter cet endroit, afin de faire part librement de mes « errances », et dans l’espoir de pouvoir concrétiser un projet que je nourris depuis trop longtemps maintenant.

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