Je commence tout juste à remettre des couleurs dans mon existence. On m'a invité à aller les chercher, plutôt que d'attendre qu'elles viennent à moi. On m'a aussi dit que j'étais une personne exceptionnelle, que j'écrivais comme un roi, et que je ne pouvais pas être « réel » tant on pouvait se sentir petit face à mes mots. J'ai bien du mal à y croire... Au point de me demander si ce n'est pas cette personne qui n'est pas de ce monde, finalement. Peut-être est-ce moi qui l'ai rêvée.
Mais ses paroles me transportent et me réinvestissent d'un espoir qui avait décidé de se faire la belle. Je reprends la plume, plus décidé que jamais à persévérer et à mener ce projet à son terme. Je vais écrire du rêve, et si je peux faire s'évader ne serait-ce qu'une personne, alors le challenge sera déjà gagné.
C'est du moins ce que tu penses. Mais mon coeur hurle que tu as tort, et mon esprit est sur le point d'exploser à force de réflexion. Je suis entré dans ton univers, j'ai touché un astre si lumineux et si brûlant que je m'en suis brûlé les ailes. Et tu me précipites aujourd'hui au plus profond des ténèbres, brisé et prostré, sans plus m'accorder un seul regard. Aucune considération. Comme si rien de tout ça n'avait existé. Est-ce que ce n'était que le fruit de mon imagination? Un rêve qui a viré au cauchemar et dont je viens soudainement de me réveiller? Je ne mérite pas même le rôle de confident? D'ami? Où est passée cette jeune femme sensible, délicate et passionnée? Les questions affluent et se bousculent, mais les réponses ne viennent pas, et sans doute ne viendront-elles jamais.
Insupportable. Après avoir partagé ton quotidien, goûté à tes gestes remplis de douceur et à tes lèvres de velours, il ne me reste plus guère que le néant, l'incompréhension et une rancoeur qui grandit de jour en jour. Si seulement celle-ci pouvait se métamorphoser, à la façon d'une chrysalide, pour devenir haine. Tout serait tellement plus simple. Mais seul demeure un sentiment d'abandon et de désespoir lorsque je constate que tout l'amour et toute l'affection que je te porte ne veulent pas s'éteindre. Malgré le fait que tu ne sois plus « Elle ». Malgré le fait que je ne sois plus que l'ombre de moi-même. Par ta faute. Tu es désolée d'être entrée dans ma vie? Moi je suis désolé que tu aies décidé d'en sortir.
Tout ça au nom de quoi? D'un amour de jeunesse qui te hante? D'une sensation perdue que tu désespères de retrouver? Est-ce que ça vaut un tel sacrifice? Non, j'en doute. Tu courrais ta vie entière dans son sillage que tu ne l'atteindrais jamais. Mais « Il » est toujours présent. Tu lui permets de jouer avec toi et tes sentiments. Tu le laisses te poursuivre et te pourrir l'existence. Tu acceptes de saborder ce que tu as et ce qui est bon pour toi pour ce que tu n'as plus. Tu ne sais pas, et tu ne sauras jamais ce que c'est que d'aimer vraiment. Pleinement. Se donner entièrement l'un à l'autre sans attendre en retour un reflet de son propre égoïsme. C'est quelque chose qui s'apprend, qui se construit à deux. Rien n'est inné. Mais tu es restée une enfant. Tu es restée naïve, et ton esprit étriqué ne conçoit pas un monde en dehors du tien.
Puisque tu préfères te borner à ta vision des choses, soit. Continue à te voiler la face, à fermer les yeux sur ce qui pourrait changer ta vie et sur ceux qui tiennent réellement à toi. C'est trop beau, trop immaculé pour toi. Tu sembles te complaire dans ta douleur et dans l'immobilisme. Dans ce cas, souffre, mais n'entraîne personne d'autre dans ta chute. Je ne le méritais pas. Je ne pense pas. Et ce qui me fait le plus mal, c'est d'avoir la conviction que tu n'auras jamais conscience de ce que tu perds. Ce soir, ma plume devient serpent et je crache mon venin. Tu as le droit de me haïr pour ça. Au moins, je comprendrai pourquoi tu as installé ce silence et cette distance entre nous. Mais ne va pas croire que je me sens mieux pour autant. Mes cris reflètent mon désarroi et mon inquiétude. Peu importe ce qu'il peut advenir de moi, prends seulement soin de toi.
Je ne te renie pas. Je t'espère en vain. Si un jour, la jeune fille que j'ai rencontré sur ce banc devait réapparaître, je t'en prie : dis-lui que je me languis d'elle.
Je t'aime...
- Ta mère ne t’a-t-elle jamais appris à tourner sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler ?
- Je me suis laissée emporter, ça n’arrivera plus.
- Ça arrivera au prochain bel homme que tu croiseras, pour peu qu’il ait un peu d’esprit et assez de jugeote pour ne pas te sauter dessus !
- Tu es jaloux parce qu’il a une centaine d’années de moins que toi ?
Le regard moqueur, le menton effrontément relevé, elle le défia du regard l’espace d’un instant. Pour une fois, ce fut lui qui abandonna là sa leçon de morale. Il n’arriverait à rien de cette façon, et les multiples égratignures qu’il recevait à chaque fois qu’il se frottait au caractère d’Elika le fatiguaient chaque jour un peu plus. La vieillesse… Elle n’avait pas tort.
- Je me fiche pas mal de cet inconnu, Falgor. Mais le fait qu’il vienne d’Alistryn m’a fait penser qu’il n’était pas du même acabit que les autres. Je m’arrangerai pour le retrouver et le faire suivre, si tu veux… De cette façon, nous serons fixés.
Le vieil homme se gratta la barbe, puis haussa les épaules, finalement indifférent à cette histoire. Il quitta sa chaise et jeta un œil par l’une des fenêtres de la bâtisse. Le ciel mis à part, tout semblait calme au-dehors.
- Va te reposer, dit-il à Elika sans quitter la rue des yeux. Je te réveillerai si l’un de nos indicateurs nous rend visite…
Elle acquiesça, termina sa coupe et quitta la table bancale. Le faste ébréché de la Grande Maison Rozières gardait ce parfum d’autrefois, malgré les défauts apparents dont elle rendait aujourd’hui compte.
- Je regrette, Falgor.
- De lui avoir adressé la parole ?
Elle eut un sourire, puis disparut à l’angle de l'escalier de pierre qui menait aux étages.
- Ou de ne pas lui avoir demandé son nom… ?, murmura le vieillard en quittant la pièce.
Avec la participation de Fiona.
A.W.
02 Chapitre Premier - Sombre présage (Extrait)
La fillette s’éveilla tandis que mourait dans sa gorge un hurlement d’effroi. Ses ongles avaient labouré son cou d’où irradiait encore une douleur lancinante. Elle se redressa dans un sursaut, le souffle court, et le regard animé par l’horreur. Le sang battait si fort à ses tempes qu’elle se cru sur le point de défaillir. Elle demeura assise là longtemps, en tailleur, les couvertures rejetées au pied du lit et le corps secoué de frissons. Son esprit était encore tourmenté par les échos d’un cauchemar devenu trop coutumier. Lorsque l’enfant parvint enfin à se dominer, elle enfouit son visage au creux de ses mains et poussa un long soupir qui trahissait sa lassitude et son désespoir. Elle n’en pouvait plus, et ce fut à grand peine qu’elle étouffa un sanglot.
Refusant de se laisser abattre, elle se frotta les yeux puis se leva sans bruit, ses pieds nus effleurant le plancher vermoulu. Le candélabre qui diffusait une lumière vacillante projeta alors sur les murs de pierre une ombre fluette et tremblotante. Une légère brise s’engouffrait par la minuscule fenêtre qui surmontait la couche, apportant avec elle les rumeurs de la nuit et le chant lointain d’un grillon mauriuri. Ce souffle frais sur sa peau couverte de sueur arracha à l’enfant un nouveau frisson, et ce fut en claquant des dents qu’elle s’écarta de son lit pour se diriger vers le miroir accroché près de la lourde porte de chêne. Elle n’eut qu’un pas à faire, tant sa cellule était petite et dépouillée. Tout avait été fait pour favoriser le recueillement : une table de travail avec un tabouret, une étagère, un lit, un placard et un baquet d’eau constituaient le seul mobilier de sa chambre.
A travers ses postillons de rouille, le miroir renvoya à la fillette l’image d’une enfant encore très jeune, sage et sereine… mais exténuée. La peau sombre, elle partageait les attributs physiques des peuples des terres orientales, et il était vrai qu’elle ressemblait traits pour traits à sa mère. Elle fut surprise par la gravité et la pureté qu’elle trouva au fond de son regard aux iris dorés, lorsqu’elle le croisa sur la surface polie de la glace. Elle arrangea alors ses tresses défaites par ces maigres heures de sommeil, et glissa entre celles-ci quelques plumes colorées, sa seule coquetterie. Puis elle s’adressa un petit sourire muet avant de se diriger vers la table sur laquelle trônaient un godet en terre cuite et un pichet ébréché.
Elle s’en saisit et se servit à boire. L’eau était fraîche, et ce fut avec une certaine délectation qu’elle bu ces quelques gorgées après avoir approché le gobelet de ses lèvres. Sa gorge encore douloureuse en fut soulagée. Elle s’apprêtait à se resservir une seconde fois lorsque des gémissements étouffés s’élevèrent du couloir, juste de l’autre côté de la porte en bois. Le godet lui échappa des mains et se fracassa bruyamment sur le sol.
« Ça recommence… Ça recommence ! »
La respiration saccadée, elle demeura immobile, ses tempes martelées par la puissance du sang brassé par l’angoisse. Il lui semblait qu’elle sursautait à chaque battement de son cœur. Au terme d’un long silence passé dans un tremblement insoutenable, elle décida d’approcher avec précaution de la porte. Après une nouvelle hésitation, elle appliqua ses doigts fins contre le montant de bois et se hissa sur la pointe des pieds, se risquant à jeter un œil à travers le judas qui donnait sur le cloître. Il y régnait une pénombre presque mystique. Quelques chandeliers laissaient apparaître une fine brume qui semblait onduler dans la galerie. Mais les râles s’étaient tus, et il n’y avait pas âme qui vive à l’extérieur.
L’angoisse de l’enfant ne s’était pas dissipée pour autant. La peur était toujours aussi présente en elle, et la crise de panique, toujours aussi proche. Elle s’aperçut qu’elle serrait les dents tellement fort que sa mâchoire en devenait un nouveau foyer de douleur. Il fallait pourtant prendre une décision. Si son corps tout entier lui hurlait de quitter précipitamment cet endroit, son esprit, plus réticent, lui suggérait de ne pas céder à cet affolement pourtant déjà ancré en elle. La fillette avait pourtant une terrible impression de déjà-vu, et ne pouvait se défaire de l’idée que quoi qu’elle fasse, elle ne pourrait échapper à son horrible destin.
Elle recula d’un pas, fixant du regard cette porte qui la séparait du corridor, les poings serrés pour tenter d’entraver ces tremblements intempestifs. Doucement, elle avança une main vers le verrou couvert de rouille…
Création personnelle soumise à des droits d'auteur.
A.W.